Ayahuasca - la dissolution de l'égo

December 16, 2023

Je me considère comme raisonnablement informé sur les effets des drogues psychoactives et psychédéliques, les ayant expérimentés à de multiples occasions seul ou en groupe. Cependant, mon CV ne porte pas encore de mention DMT (diméthyltryptamine), qui est la substance psychoactive principale contenue dans l’ayahuasca. D’après mes lectures, les expériences psychédéliques les plus puissantes sont vécues sous DMT, mais à la différence du LSD qui permet d’ouvrir l’esprit, la DMT offre une expérience concentré sur le soi.

Allongé sur ma couchette, je guette pendant bien une heure l’arrivée des premiers effets. Tantôt les yeux ouverts à la recherche des premières hallucinations, tantôt les yeux fermés, faisant le silence dans mon esprit agité pour ressentir les changement sur le système cognitif et la conscience. Il ne se passe rien, je me demande si ma cervelle est déjà trop fried pour ressentir quoi que ce soit durant cette expérience, je baille un coup et je bois un coup dans ma bouteille.

Vous voyez à quoi ressemble un trébuchet ? Si vous avez joué à Age of Empires 2 vous savez forcément mais pour ceux qui ne savent pas, c’est un genre de catapulte avec un gigantesque bras, même appelé “catapulte de Dieu” durant les croisades. En gros, ça envoie des trucs, très loin. Et c’est précisément ce qu’il vient de se passer: je viens d’être projeté, à pleine vitesse, après avoir passé 1h et demie à presque somnoler.

Projeté à l’intérieur de moi-même, dans les tréfonds de ma pysché. Je me demande régulièrement à quoi ressemble l’inconscient des autres humains, mais le mien était noir, rempli de souffrance, d’inavoués, de mensonges, d’objets parfaitement inutiles qui troublaient ma conscience. Il s’y cachait une version de moi maltraitée, ignorée, blessée.

Il va falloir vous y habituer, je m’exprime énormément en métaphores, je trouve d’ailleurs que c’est l’un des moyens les plus puissants pour communiquer une idée, puisqu’on peut déformer la forme d’un propos pour l’adapter à son interlocuteur, sans en déformer le fond.

Imaginez marcher sur le chemin de votre vie en pleine nature, avec un sac à dos. Ce que vous voyez en face de vous, et autour de vous, c’est votre expérience consciente. Sur ce chemin, vous rencontrerez d’autres voyageurs, et en interagissant avec eux, vous vivrez des joies, mais aussi des grandes peines. J’ai appris plus tard dans ma vie que lorsque l’esprit n’est pas prêt, il a tendance à ranger les peines à l’abri de la conscience, dans notre sac à dos. Ce n’est pas que les humains soient des lâches, il s’agit d’un mécanisme de survie essentiel, sinon la conscience éclaterait en plein vol. Je trouve cela fascinant, mais les recherches en psychologie semblent indiquer que c’est l’égo, un espèce d’arbitre opérant simultanément dans la conscience et l’inconscient, qui dissimule les peines dans l’inconscience pour nous permettre de survivre de manière optimale.

Vous avez déjà marché de longues années, des décennies parfois. Et au fur et à mesure que vous ajoutez des choses dans votre sac, il devient de plus en plus lourd. Marcher devient difficile, on se pète la gueule, on peine même à se relever. On se demande ce qu’on a bien fait pour qu’avancer soit devenu si difficile. Parfois même, on s’arrête. Je ne suis pas certain de ça, mais je suis presque convaincu que certains humains vont s’arrêter une fois, et mourir à l’endroit où ils se sont arrêtés, sans comprendre que le poids de leur sac les a arrêtés.

Ce que je viens de vivre, c’est mon sac qui s’est vidé. Une confrontation forcée avec tout ce que mon faible égo avait soigneusement caché. Et je peux vous certifier qu’à 33 ans, j’avais une quantité terrifiante de merde entassée dans mon sac. Je me demande si ce n’est pas ce que les hommes appellent le karma, à savoir que le réel karma ne vient pas du monde extérieur, il vient du monde intérieur. On ne peut pas s’échapper de quoi que ce soit, notre inconscient inventorie méticuleusement tout ce que nous avons à affronter, et ce n’est qu’en affrontant nos peines enfouies qu’on peut libérer de l’espace dans notre inconscient.

J’ai beaucoup pleuré, de longues heures, de toutes mes forces, jusqu’à en perdre le souffle. J’ai revécu des évènements vieux de presque deux décennies, mais en mesurant cette fois-ci tout l’impact qu’ils ont eu sur moi. J’ai pleuré les larmes que je n’ai pas versées durant ces évènements, comme si elles étaient stockées dans des flacons sur une étagère de mon inconscient, chacune étiquettée d’un petit mot pour que je me rappelle bien à quel évènement elles correspondaient.

Le shaman joue de la guitare, mais il ne joue pas de la musique, il joue quelque chose de différent. Il est en réalité le chef d’orchestre qui guide tous nos esprits perdus autour du feu cette nuit là. Le rythme auquel il joue et chante nous offre parfois un peu de répit, je ne saurais dire combien de temps, peut-être 15 ou 20 minutes, et nous renvoie parfois dans notre propre inconscience pour que l’on y fasse ce que l’on est venus faire: la sonder, la comprendre.

La douleur est si forte que j’ai l’impression que je vais mourir. Je réalise le poids de mon inconscience sur ma vie, elle est si lourde, si massive, qu’elle déforme ma conscience. C’est comme être à contre-courant d’une avalanche, vous avez beau résister, cela devient de plus en plus difficile de rester stable. Plus je résiste à la douleur, et plus je réalise que je vais mourir. Par instinct de survie probablement, encore une fois, alors que nous étions environ 3 ou 4h dans la cérémonie, je fini par comprendre que la seule chose qui va me sauver, c’est d’arrêter de forcer, c’est d’autoriser la douleur à m’envahir, à la laisser se propager dans chacune de mes cellules.

La douleur s’intensifie alors brutalement, mais je n’ai soudainement plus peur de mourir: je sais que je vais survivre, car la douleur va passer. C’est juste qu’il y en à beaucoup.

Je passerai les deux prochaines heures à alterner entre des moments de grandes peines, des moments de repos, à aller aux toilettes. D’ailleurs les toilettes étaient à environ 10 mètres de la cahute principale, et le chemin y menant était bordé par des loupiotes et diverses lampes, à chaque fois que j’y allais j’avais l’impression de travers le pays d’Alice aux Pays des Merveilles. Les hallucinations étaient absolument fantastiques, je me sentais connecté à chaque centimètre carré de nature, c’est vraiment trippant.

Sur la couchette à ma gauche, il y avait un latino super beau gosse, tatoué et musclé, un super beau mec. Il fait nuit noire, et revenir des toilettes à sa couchette est vraiment compliqué sachant qu’on est dans un état de conscience modifié. Je le vois revenir des toilettes, il titube et ne parvient pas à trouver sa couchette. Je m’accroupi et attrape sa main pour l’aider à s’allonger. Je ne vois pas ses yeux mais il me remercie, je le sens. Il m’aidera aussi plusieurs fois à me recoucher lorsque je ne trouvais pas couchette non plus.

Bref, moi je suis un gros loukoum en carence en vitamine D, mais cette nuit, lui et moi sommes égaux, et nous nous entraidons. Au milieu du trip, environ vers 2h du matin, je me sens en pleine confiance, je me sens fort, vraiment très fort. Je profite de ce vaillant élan pour aller me reservir une fois pour continuer d’affronter mes démons, car cette fois-ci je ne vais pas me battre avec eux, je vais les laisser parler.